Abordage

Le rythme du violon est plus frénétique que tout à l’heure. Il faut dire qu’alors, on ne coulait pas.
Hank marmonne une espèce de prière. À côté de lui, c’est Martin qui joue. Il vient de se pisser dessus.

Voilà une heure que nous essuyons des tirs de canons. L’Anglais que nous chassons depuis la nuit dernière nous a reconnu. Nous venons de prendre une bordée, la coque va céder. Nous sommes tous ramassés contre le bastingage, armes au poing.
Hier est effacé, demain reste incertain.

Jason allume la mèche. Au bout, trois fûts de poudre noire.
Edward brandit ses pistolets et, au rythme du violon, aboie sans cesse « À la course mes gentilshommes ! ».
Le bois du pont craque méchamment, les cordages claquent. Le beaupré vient de s’écraser sur la coque du navire anglais. Le son du violon arrache au ciel son dernier voile de candeur. Les grappins sifflent dans l’air comme des moustiques avant de piquer la chair de leur proie : le bois.

Martin a les yeux fermés, il continue de jouer. L’odeur de poudre est plus forte que celle de sa pisse. Hank ne marmonne plus, il chante. Je reconnais enfin cet air.

Les cordes flagellent l’air salé, Martin s’acharne sur son instrument, Edward hurle, « Maintenant ! ».
Nous envahissons le pont ennemi braillant tant que nous pouvons en effaçant toute vie sur notre passage.
Notre bateau explose dans une dernière trille, l’horizon gronde et le ciel disparait.

Sur le pont, rouge, les mouettes se délectent des corps enchevêtrés. Comme un tambour, mon cœur bat la mesure d’un air que je ne connais que trop bien. Je suis toujours vivant.