Le Cercle du silence
Moe me tend un bout de papier froissé et me dit :
« - Edward prend les commandes cette nuit… Si t’en es, signe dans le cercle. Sinon, que le Diable t’emporte ! »
Il se glisse dans l’entrepont et regagne son hamac.
Depuis notre départ de Portsmouth, nous nous sommes bien fait berner : « Direction la Jamaïque ! » nous avaient-ils dit. Le vent a tourné, personne ne s’en est rendu compte et nous avons embrassé les Côtes Africaines.
Le « bois d’ébène » occupe maintenant la majeure partie du navire. Depuis ce chargement, les restrictions empirent.
Le Capitaine Monfart perd la tête entre les jambes de ses négresses. Il a fait fouetter à mort un jeune gabier qui reluquait d’un peu trop près l’une d’entre-elles alors qu’il les ramenaient à la cale.
Edward a essayé de l’en dissuader. Il a prit trente coups lui aussi.
Adossé au bastingage, je déplie le papier. D’une encre douteuse et d’une écriture maladroite sont écrits les noms de mes compagnons, tous reliés les uns aux autres. Il ne reste la place que pour un nom, le mien, afin de former un cercle parfait. J’avais déjà entendu parler de cette pratique, une liste sans commencement ni fin, pas de meneur, pas de suivant, juste des noms formant un rempart contre la servitude et l’inégalité… J’écris mon nom, Jacques Larivière.
Le cercle, comme la corde qu’on me passera autour du cou si notre mutinerie échoue. Le cercle, comme ma vie maintenant, sans début ni fin.